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TEXTES

Tabula rasa du fatras, l'exorcisme de la chute

 

Au commencement est la destruction. La passion de la fin est le mythe fondateur de toute reconstruction. C'est vrai pour l'architecture. C'est vrai pour la civilisation. C'est vrai pour la fin du monde. C'est donc vrai pour la peinture.

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Peut-on encore saisir la nature du monde contemporain qui nous entoure et la traduire simplement par sa représentation sans chercher à la pénétrer d'une compréhension collective, d'une tradition picturale et d'un regard singulier. Bien qu'il travaille sur le motif par la réutilisation de croquis préparatoires, d'observations frontales de voyage, de dessins croqués à dessein compilés dans un réservoir de formes, Nicolas Pilard ne cherche pas à rendre une imitation du paysage façonné par l'homme mais à re-unir par le biais d'une manière expressive de voir à travers. Un réel traqué puis détraqué puis intégré dans la continuité du tableau. Des arrangements intuitifs, du montage anticipé, des collages mentaux, de la composition épurée, des vides « remplis de peinture » dépeignent un ordre d'une autre nature. L'inquiétante étrangeté d'un monde familier expose le chaos qui couve sur la confortable façades des apparences. La réalité ne se montre que comme un idéal de décomposition empoigné à bras le corps pour le basculer « cul-par-dessus tête ».

 

Une manière de regarder se met en oeuvre dans le travail de Nicolas depuis plusieurs années, deux dimensions entre paysage et vanité, dénuée d'êtres animés. Cette élaboration prend naissance sur l'état d'esprit d'Entressen (série Entressen), décharge à ciel ouvert à l'échelle d'une métropole, puis embarque dans les cyclones (série Haitang) des emprunts à la tradition classique et des « objets pauvres ». Dans ses travaux les plus récents des compositions apparaissent plus chorégraphiées, combats de formes et d'informes pour résister à la statique de l'image peinte. Nicolas s'affranchit d'une certaine gravité et s'implique plus en avant dans la part sensible du tableau comme théâtre de la confrontation entre la peinture et le monde extérieur.

 

Les modèles, détails d'un environnement architectural et objectal, embrassent la toile à traits synthétiques empreints de la force du geste pictural dans une tension de la forme. Une peinture fluide redéploie une spontanéité picturale en-deçà de toute éthique de désordre pour soustraire le geste à une copie couleur appliquée des esquisses. En parallèle, un ouvrage d'aquarelle disperse des motifs dans une matière liquide qui anime l'image et imprègne littéralement le papier comme un sol terreux. Compléments d'objets indirects pris au piège de la peinture, ils sont libérés de leur charge utilitaire, comme emportés dans un ciel de farandoles. Les objets revenus à l'état sauvage se liquéfient dans une couleur fluide, perdent toute pesanteur, comme déracinés, exportés, submergés, collés, digérés... La vanité originelle se révèle branle-bas dans l'accord intuitif des parties avec le tout. C'est sans doute dans le jaillissement de cette construction en rafales que réside la vraie nature du paysage du troisième millénaire.

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Réalités et imaginaires, économies et chaos sont façonnés par les esthétiques modernes et postmodernes qui confrontent la « froide raison », l'« enfer tiède » et le « coeur ardent » dans les univers artistiques contemporains. A l'image de la peinture de Nicolas, ils ne sont ni bêtement sinistres ni présentement « j'y étais » ni nécessité consumériste mais afflux d'une lucidité sensible. L'artiste, au même titre que le typhon, détient le pouvoir de transformer le monde qui l'entoure. L'acte de création demeure un basculement dans le tableau, une mise à l'épreuve de la peinture. Une poésie hétérogène « retournée dedans ».

 

2008, Luc Jeand'heur.

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