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Rappels

Pour la galerie Territoires Partagés

 

           

Territoires partagés est un drôle d'espace, étroit à l'entrée, contracté entre le mur auquel on fait face et la baie vitrée sur la rue, on débouche sur une pièce au volume très différent, avec une dilatation à la verticale. Cette petite salle, presque cubique, au plafond culminant à 3m50, incite à une attention à la pesanteur, un axe sol-plafond qui contraste avec l'entrée, étirée plutôt à l'horizontale. Le regard y monte ou y descend, c'est le principe élémentaire qui s'impose, alors pour y introduire de l'oblique, un petit recul de la surface pariétale et on est en rappel.

Ce n’est pas que je veuille transformer l'espace en chapelle mais bon... en le peuplant d'objets-réceptacles suspendus, qui cherchent ou obstruent la lumière, ou lovés dans les coins comme des éviers organiques... j'avoue que j'avais à l'esprit des encensoirs, des navettes et des bénitiers (d'ailleurs le tridacne, le coquillage qui en est la version organique, rappelle étrangement les ondulations qui peuplent beaucoup mes volumes).

 

C'est qu'en dehors de la stricte liturgie, l'objet sacré est aussi polymorphe que l’œuvre d'art. A peu près n'importe quoi peut devenir une hiérophanie. De l'artefact à l'objet trouvé, de l'animal à la plante ou à la pierre, du peuple à l'individu, du livre à la simple parole, au mot... quand on s'imagine la profusion à laquelle l'historien des religions est confronté, c'est difficile de ne pas penser à la tâche ingrate de l'anthropologue martien de Thierry de Duve qui essaie de recenser que le mot art désigne. L'art a des frontières poreuses avec le sacré et le magique, bien que forcément moins quand on le réduit à de petites expérimentations dans l'interstice social. J'avoue que le territoire que je souhaiterais partager, est celui silencieux et immobile d'un questionnement sur notre rapport au monde. Et il me semble que moins la chose qu'il produit est interactive, liée aux réseaux sociaux en tous genres, moins elle a de chance de se faire ensevelir sous les discours qui effacent sa présence. Une production artistique a, d'une certaine manière, une cohérence propre qui rend presque son développement autonome. Un objet ou une image, disons une forme, car je me vois bien plasticien quel que soit le médium, en appelle une autre et on peut se sentir presque passif à laisser ses mains faire ce que la chose impose. Je pense que certains artistes ont dû s'en remettre à un processus qui a pris le contrôle de leur travail. C'est un des enjeux les plus fascinants de la pratique artistique, et un de ses pièges. Pourtant je trouve bien plus pauvre, paradoxalement, les œuvres qui égrènent les bonnes idées, ce qui est fatalement le cas des artistes qui délèguent la production de leurs pièces. Je continue d'avoir besoin d'éprouver (ça a bien un caractère d'épreuve) la création d'une chose, sa montée à la forme. Un attachement, qui peut sembler archaïque, à la poiesis, pourtant si dépréciée dans la culture occidentale.

 

 

Nicolas Pilard, 2015

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